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Les paroles de la chanson
« Gustave »
Michel Bühler

L’avait onze ans à la première
Et donc trente-six en trente-neuf
C’est dire qu’il n’était pas tout neuf
A la seconde guerre
Et v’là l’horreur, encore une fois
Les peuples déments affrontés
Les tas d’ cadavres décharnés
Hiroshima
Avant, il y avait eu la crise
Les pauvres jetés aux pourceaux
Quelques massacres coloniaux
Qu’ des choses exquises
Et lui, tout droit, faut bien qu’on vive
Même au milieu des vents mauvais
Traversant l’ siècle tout entier
De l’une à l’autre rive

A cent deux ans, dedans son lit
Il chantait encore tous les soirs
Porte ouverte sur le couloir
D’ sa maison d’ vieux, c’était pour lui
Façon de saluer la vie

L’était né au temps des chariots
Dans un village aux maisons grises
Hivers grelottant sous la bise
Et lourds chevaux
Fenêtres noires, murs écaillés
Les fabriques y jetaient leur ombre
A quatorze ans, en blouse sombre
Y était entré
A c’t’ époque-là, les gens étaient
Consciencieux et jusqu’à l’excès
Avec l’amour du travail bien fait
C’est c’ qu’on disait
C’était le temps des syndicats
Du coude à coude et des coups d’ mains
Tu viens m’aider pour mon jardin
J’ te coupe ton bois

Dans sa p’tite chambre, à cent deux ans
Il chantait comme un bienheureux
Les aut’, les jeunes, s’ moquaient un peu
C’ qui l’ laissait bien indifférent
Avec l’âge, tu n’ gardes que l’ important

Une femme qu’on aime et trois enfants
A qui on apprend les sentiers
Ceux du profond de la forêt
Ceux du vieux temps
La vie qui coule au quotidien
C’est p’t-être bien ça le bonheur
La pendule compte les heures
L’été revient
Et puis ce triste téléphone
Qui annonce la mort d’un fils
Puis l’épouse qui, vieille complice,
Part à l’automne
Lors, faut apprendre à faire son deuil
A retrouver le goût de choses
L’envie de cultiver les roses
L’ rire au coin d’ l’œil

A cent deux ans, la tête claire
Parole, il chantait l’avenir
Avec toutefois dans son sourire
Parce qu’il savait l’éphémère
Bien sûr, une ironie légère

Un siècle qu’il a traversé
V’là qu’on a marché sur la lune
Voilà que d’infinies fortunes
Se sont amassées
V’là qu’ici et là, on torture
Comme en toute légalité
V’là un siècle qui nous a laissé
Quelques écorchures
L’avait onze ans à la première
Dans c’ temps-là, on allait à pied
Maintenant les ondes pressées
Font l’ tour d’ la Terre
Resta debout autant qu’on peut
Avec au cœur son espérance
Avec une espèce d’élégance
Dans son r’gard bleu

A cent deux ans, j’en suis témoin,
Il chantait encore à voix pleine
Il est parti l’âme sereine
Un p’tit printemps, un p’tit matin
Ayant parcouru son chemin